Le 08 / 07 / 2016
La schizophrénie à travers Zürn, une intellectuelle, artiste passionnée de psychanalyse, à l'instar des surréalistes en leur temps et sans doute à cause de ses propres troubles, amène à penser autrement le rapport au réel, à s'interroger sur l'engouement de ces personnalités pour la psychanalyse. Ces artistes ont, pour beaucoup, vécu les deux guerres ; pour certains, ils se sont engagés sur le front, ont été brisés pour leurs idées politiques et déçus par les représentants de leur parti. Alors, la psychanalyse a fait office de dernier recours dans l'espoir de retrouver une authenticité perdue, une confiance intacte dans l'avenir de l’art. A cette époque la psychanalyse côtoyait des artistes en état de dépression, de désillusion, de désœuvrement, confrontés à l’exil et/ou au suicide.
Le 09 / 07 / 2016
Je m’interroge sur l’engouement des artistes pour cette science, et sur l’art lui-même qui n'a pas questionné une psychiatrie qui a créé de toutes pièces un art des fous. Au contraire, les artistes savants s’en sont saisi comme d’une voie par laquelle retrouver une impulsion vers la création pure, comme si en pleine effervescence du surréalisme, l'art officiel était déjà malade...
Le 11 / 07 / 2016
La mort imaginée comme miracle chez Unica Zürn. Quel est la nature de ce miracle ? Que cache la notion de merveille derrière la mort et celle de mort sous la merveille ? Vouloir mourrir pour ne plus souffrir n'est pas une piste suffisante, car à l'idée d'éblouissement se substituerait celle de délivrance... Unica répète à plusieurs reprises qu’elle se sent inutile, voire illégitime ; qu’elle ne mérite pas la qualité de son entourage, qu’elle ne peut rien donner aux êtres qu’elle admire, qu’elle aime, en échange de leur amitié et de leur prévenance. Sa culpabilité est immense en même temps qu’elle se sent poussée en avant vers un destin, un irrépressible appel. Elle ne peut pas se résoudre à la banalité du quotidien, la simplicité de la vie des Hommes qui se répète à l’infini, jour après jour, pour tout le monde... L'idée qu’un mystérieux engrenage ait mis au point une vie aussi complexe, variée ; qu'il ait permis d'éprouver des émotions si fortes, des amours si grands dans un monde aussi plat, lui est insupportable, du moins incompréhensible ; en tout cas invivable. Tout ça pour ça : cette idée la ronge et la détruit en plus de la honte de ne pouvoir la supporter comme la plupart des gens, de l'intégrer à sa vie, ne serait-ce que pour trouver la force d'élever ses enfants... Comment accepter la trivialité de l'existence et la supporter quand on rêve d'absolu et de merveilles ? Il y a forcément autre chose, un mystère caché, un secret, un trésor à trouver comme le savent les enfants quand ils explorent au peigne fin un coin de jardin ou de forêt. Alors, la mort serait ce miracle caché que la grande machine du temps nous offre après avoir relever le défit, stupide et ennuyeux à mourir de la vie...
Le 18 / 07 / 2016
Bateson propose de comprendre la schizophrénie par les fondements mêmes du langage, en mettant en lumière les forces contradictoires qui agissent en nous (Schismogenèse). Il étudie sous cet angle la communication entre une mère et son enfant, non pour juger la mère, prise comme tout le monde entre des forces contradictoires, mais pour observer le processus d’adaptation que l’enfant va mettre en œuvre. Bateson appelle ce phénomène La double contrainte. Cette communication entre l'enfant et sa mère est la première stratégie verbale et comportementale qu'un individu va expérimenter dans le monde extérieur.
Le 20 / 07 / 2016
L’enfant sent que les sentiments de sa mère ne vont pas avec ce qu’elle énonce. Par exemple, elle dit avec une exaspération évidente : « Vas te coucher ! Ou tu seras fatigué demain » alors que l'enfant entend : « Laisse-moi tranquille maintenant ! ». L’enfant va s’adapter à cette communication. Bateson appelle cette adaptation la double contrainte car, en effet, quelque soit sa stratégie, l’enfant sera perdant : s’il tente de conquérir l’amour maternelle il sera rejeté car trop présent, et s'il se rebelle, par exemple en quittant la maison, la mère sera blessée et tentera de le ramener vers elle, conjurant ainsi une forme de culpabilité : «Tu veux m’abandonner ? Tu trouves que je suis une mauvaise mère ? »
Le 24 / 07 / 2016
Dans l’organisation de notre société, il est nécessaire de maintenir le schizophrène à l’état de dépendance, de veiller à ce qu’il ne quitte pas le circuit classique : maison-hôpital-prison-hôpital-maison. Ce circuit fermé nous semble normal, bien qu’il soit largement dénoncé dans le secteur psychiatrique. Les malades eux-mêmes, au bout de dizaines d’années de traitements, constatent qu’ils demeurent écartés de la machine sociale et maintenus dans le réseau de l’hôpital ; ils doivent continuer de pointer, être sous la surveillance de la médecine et sous la vigilance de leurs proches. Nous sommes de plus en plus adaptés à cette logique du contrôle qui s’étend, au delà du domaine de la maladie et de la folie, à l’ensemble de la population. Le bénéfice est l’illusion de pouvoir prémunir les dérives de la normalité : si nous acceptons le contrôle pour nous-même, nous sommes prêts à cautionner qu’il soit redoublé auprès des psychotiques, des marginaux, des étrangers…
Le 25 / 07 / 2016
« En fait, il semble que le comité a été influencé par le type de questions que les administrateurs posent d’habitude aux anthropologues : « Est-ce une bonne chose d’employer la force dans les contacts culturels ? « » ou « Comment faire accepter tel trait culturel à tel groupe ethnique ? »etc. C’est bien comme réponse à ce type de questions que, dans la définition du contact culturel, on insiste surtout sur la différence culturelle entre groupes et sur les changements qui en résultent ; des dichotomies, comme celles entre « éléments imposés et éléments reçus volontairement par un peuple », peuvent être considérées comme symptomatiques de cette façon de penser en termes administratifs. »
Grégory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, Contact culturel et schismogenèse
Le 01 / 08 / 2016
Nous avons coutume de penser que le travail des artistes contribue à dénoncer ces mécanismes et à nous affranchir, de manière collective, de cet engrenage, mais ce n'est que l'une des grandes utopies de notre époque.
La création de l’Art Brut par Jean Dubuffet dans les années 1920/1940 montre que cette révolte n'existe pas : ce sont les artistes eux-mêmes qui ont isolé un art inculte d’un art savant.
Le 05 / 08 / 2016
Dissocier la volonté d’être un artiste de l'indifférence d'en être un est une création d’élites. De même que rendre hommage aux productions des internés en leur accordant une place dans les musées, en leur offrant un nom et un genre, est encore une façon de créer une marginalité, autour d'un art officiel qui n’a plus de légitimité.
Le 08 / 08 / 2016
Le personnage d’Unica Zürn témoigne de la façon dont les artistes ont subit ce broyage et de quelle façon, malgré eux, ils y ont contribué. Comme beaucoup d’entre nous, ils s’en sont remis à la médecine, sans questionner le statut que la société leur donnait.
La folie de ces artistes continue d’alimenter les récits de leur vie, elle donne une plus value, marchande et morale, à leurs œuvres. Admirer des œuvres dites brutes, dans les expositions privées des hôpitaux psychiatriques, est-il différent que de visiter, au XVIIIème siècle, les lieux d’internements le dimanche pour y voir, comme à la foire, les visages de la folie ? Même si cela passe par le souci d’une reconnaissance à leur égard.
Intégrer ces mêmes œuvres dans les musées n’est-il pas gratifier l’art officiel d’un certain humanisme ? Cet art, qui à la façon d’un système politique sans scrupules, est passé maître dans l’exclusion et la récupération. Il y a quelque chose de terriblement gênant pour un artiste, de consentir à appartenir à ce système autant que d’en être exclu, comme s’il était le péage incontournable de l’expression.
La thérapie par l’art : Mettre à disposition des internés les moyens de dessiner et de peindre, réserver une place à des activités autres que le travail ; la modernité est d’avoir cessé, quelques heures par semaine, de vouloir rendre un fou utile et moral.
Le 15 / 08 / 2016
La légende, lucrative, de la passion artistique qui entraîne la folie ou la mort est une fascination morbide pour les gens incapables d'imaginer que l'on peut tout sacrifier à son intuition profonde ; ce n’est pas l’expression qui nous perd ou qui tue, ce sont ses lois de l’exclusion et les mécanismes de sa pérennité.
Le 16 / 08 / 2016
La folie ou la déraison sont singées par les artistes professionnels.
Le 17 / 08 / 2016
L'artiste qui s'enorgueillit de se démarquer des profanes ; qui se sent honoré d’être accepté dans les milieux réservés à l'expression, est un interné volontaire.
Le 18 / 08 / 2016
Le talent n’est rien d’autre que la capacité d'expression au plus profond de l’isolement.
Le 19 / 08 / 2016
Bateson, avec son retour aux fondements du langage, fait appel à la matière première des poètes.
Unica Zürn a imbriqué sa psychose et la construction de son œuvre, je ne connais pas d’autre témoignage de cette nature.
Le 22 / 08 / 2016
Comment construire une narration avec un système de pensée construit dans l’enfance ?
Le 23 / 08 / 2016
Une schizophrénie considérée comme œuvre de l’esprit...
Le 24 / 08 / 2016
Zürn et Bateson étaient contemporains, j’ignore s’ils connaissaient leurs œuvres mutuelles.
On ne peut pas continuer de qualifier Unica Zürn de malade mentale (comme la désigne pourtant le sous titre de son livre phare, l’Homme Jasmin) ou comme une artiste surréaliste. Elle a produit une œuvre unique en son genre qui anéantit toutes les frontières entre l’œuvre et la folie. Même quand l’auteur surpasse ce qu’on attend de lui, nous échouons à le sortir d'une définition collective.
Le 25 / 08 / 2016
Le refus d’Unica d’abandonner ses croyances qui la conduisaient inévitablement à l’hôpital psychiatrique, le regard peu flatteur qu’elle portait sur elle-même au vu des conséquences de ses actes, le statut de folle qu’elle acceptait, relève de la notion de choix et d'obstination plus que de déraison.
Le 27 / 08 / 2016
Saisir la pensée de quelqu’un à travers son œuvre c’est un peu apercevoir une silhouette au loin : on ne sait pas si elle approche ou si elle s’en va. Elle oscille entre des traits qui se précisent et des flous... Lisant, relisant les livres de Zürn, je comprends que cette distance me sera toujours imposée. Reproduire son personnage au fil des pages est l’inverse d’une répétition, mais une tentative, chaque fois renouvelée, d’approcher une chimère.
Le 03 / 09 / 2016
Trouvé des textes intéressants de Georges Perec, Jean-Pierre Chevrier, un film de Catherine Binet autour d’Unica Zürn.
Le 04 / 09 / 2016
A l’inverse de Camille Claudel ou Séraphine de Senlis, Unica Zürn s’est racontée, coupant court à toute forme de fantasme à son sujet.
Le 05 / 09 / 2016
De nombreuses thèses ancrent le personnage d’Unica dans sa liaison avec Hans Bellmer, en font une femme dans l’ombre d’un artiste. Bellmer aurait participé à pousser Unica dans l’abîme. C’est un postulat simpliste et injuste. Moi-même, pensant lui rendre hommage, j'ai voulu parler d’Unica en dehors du groupe surréaliste et de sa relation avec Bellmer, mais c'était une erreur ; les gens qui ont peuplé sa vie dessinent également son portrait. Bellmer à largement contribué à faire connaître l'œuvre de Zürn, il a veillé à ce qu’elle soit internée dans les meilleures conditions, qu’elle reçoive des visites, qu’elle ait de quoi dessiner durant ses longs séjours à l'hôpital psychiatrique... Sans Bellmer, l’œuvre d’Unica Zürn serait demeurée dans l'ombre.
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