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Photo du rédacteurCéline Wagner

Dernière mise à jour : 9 mars 2020

J’étais avec un ami, Arnaud Floch, chez un couple d’amis commun, dans un appartement modeste mais très agréable, lumineux, décoré avec goût. Nous devions prendre un train dans une heure et, en attendant nous papotions autour d'un thé. Mon amie me parlait et j’étais distraite, je regardais ma montre sans arrêt, un long moment plus tard je compris pourquoi : Ce n'était pas la mienne. « Ma montre n’est pas de cette couleur» dis-je. Je la changeais et goûtais enfin un sentiment de quiétude. L’heure approchait de rassembler nos bagages et de partir ; nous avions vu large pour ne pas nous presser jusqu'à la gare. Avant de quitter l’appartement, je ne cessais de compter mes bagages, persuadée qu'il en manquait forcément un, deux, à moins que je n'ai oublié combien ils étaient au départ... (Nota : En ce moment je lis le manifeste sur les emballages de Tadeusz Kantor.)

Tentant péniblement de rassembler mes sacs, je m’empêtrais dans mon inventaire et, j'essayais les multiples manières de les porter de façon rationnelle... Puis, enfin, nous partîmes. Nos amis nous accompagnaient jusqu'à la gare, nous avions le temps. En approchant, celle-ci prit un aspect aussi sordide que l’appartement de nos amis m'avait paru plaisant ; c’était un bouge crasseux et sombre ; nous arrivions pendant un contrôle de police, des hommes étaient fouillés face aux murs, le sol plein d’immondices, les habitations de proximité tenaient lieu de squats ; Arnaud Floch avait disparu, l'ami qui nous accompagnait prit congé soudainement parce qu’il avait une boulette de shit dans sa poche, je me retrouvais seule. Pourtant, sa femme était à mes côtés tandis que je consultais le panneau des horaires de train et m'aperçu, avec horreur, que... j’avais oublié mes bagages ! Prise de panique je couru à perdre haleine jusqu'à l'appartement, le cœur prêt à se rompre, en espérant avoir le temps de faire l’aller/retour. Quand je retrouvais la gare, chargée comme une mule, celle-ci me parut impénétrable. Elle n'était qu'un dédale de couloirs et une anarchie signalétique, je ne comprenais rien, les sanglots me montaient à la gorge, j’avais conscience que je n’aurais jamais le temps de me repérer ni de déchiffrer une quelconque information avant d'embarquer. L'amie, une main sur mon épaule me dit avec douceur : « Je crois que c’est mort. » J’étais dévastée. Le couple m’entourait à nouveau, visiblement désolé pour moi. Afin de les libérer en confiant le seul recours qu'il me restait je déclarais : « Dans ces cas-là j’appelle mon père. »


Dessin Céline Wagner

Photo du rédacteurCéline Wagner

Dernière mise à jour : 22 mars 2019


Céline Wagner

Nous, auteurs BD, quelle est notre position dans la transition énergétique ? Je suis sûre que nous ne doutons pas de la fin du monde, quant à la fin du mois c’est une question que nous connaissons bien. Plus de 30% d’entre nous crèvent la dalle (pour appeler un chat un chat) et ce phénomène ne se produit pas à la fin du mois, mais entre deux contrats d’éditions comme on le sait largement aujourd’hui. Malheureusement ce débat reste cantonné dans le pré carré de nos problèmes internes et, au contraire de ce qu'on aimerait croire, il n'ébranle pas l’ensemble de la chaîne du livre et interpellent seulement les quelques lecteurs dotés d'une véritable éthique à l'égard de leur objet de passion. Soyons honnêtes, cette précarité nous concerne avant tout, nous, auteurs. Aujourd'hui et de plus en plus la question de notre avenir demeure ; pas seulement en tant qu’artistes mais également en tant qu'humains, comme tout le monde. Bien sûr, nous nous battons pour nos droits, pour des conditions décentes de travail, pour une juste rémunération (et encore : nous nous battons, façon de parler, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour continuer à faire des livre, sans être broyer par le système de l’édition), mais au fond, quels sont nos véritables moyens d’actions pour nous défendre ? Pour faire valoir nos droits face à la surproduction de livres, face aux deux/trois hyper-maisons-d’éditions qui monopolisent les places en librairies et dans la presse ? Ces mêmes filiales géantes qui font la pluie et le beau temps, orientent les auteurs par l’appât du gain sur les sujets et thèmes des albums à venir, fabriquent la mode, imposent un format de récit, en surfant sans scrupules sur une actualité souvent dramatique, et s’octroient au passage, sans concurrence possible, l’adaptation en BD des romans qui cartonnent en librairies. Du même coup, on nous sert à des sauces différentes, les mêmes romanciers, les mêmes scénaristes, les mêmes séries, les mêmes idées... Les omnipotents de l'édition créaient des maîtres et les marginaux que nous sommes… Dans ce contexte, à quoi pourrait ressembler un auteur BD s’il faisait grève ? Nous savons bien que si on arrêtait de bosser on ne pénaliserait que nous-mêmes ; puisque notre raison de vivre nous serait confisquée. Aujourd’hui, au drame des artistes/auteurs s’ajoute le drame de l'humanité tout entière. Pour dessiner, écrire, continuer d’exister dans cette machine à broyer les minorités, il faut respirer, boire, s'émerveiller du spectacle de la nature et, sans aller jusqu’à se sentir fière d’être un homme ou une femme, il ne nous reste plus qu'à se montrer digne de l’être, en refusant, quoiqu’il en coûte, la barbarie exercée sous toutes ses formes. Cette barbarie, les abattoirs en sont l'extension d’une plus lointaine faite à l’Homme au quotidien depuis toujours ; dans notre isolement elle est latente, lancinante à la façon d'une migraine qui nous pourrit la vie et que nous trimballons malgré tout parce qu’il faut avancer... Nous, auteurs et artistes du livre graphique, malgré notre précarité, nous ne pouvons pas séparer notre cause de la transition énergétique. Nous sommes à l’origine d’une production de livres qui demande des usines, du papier, des machines, de l’énergie ; et il aberrant, inacceptable, dégueulasse, obscène de voir le surplus de ses livres aller au pilon, de voir les éditeurs indépendants, qui nous défendent, payer pour leur destruction alors que tant de gens, ici et ailleurs, n'ont pas accès aux livres. Les grosses filiales de diffusion chargées de placer chaque mois les nouvelles sorties BD chez les différents distributeurs (libraires et hypermarchés) pénalisent l'éditeur qui ne vend pas assez, en lui infligeant une amende ; elles se foutent comme de leur première Pampers© des livres confidentiels qui n'atteindront pas le millier de ventes. Ces livres rares, par leur discrétion, et qu’il faut chercher pour trouver (car leur publicité est quasi-invisible), sont la richesse des éditeurs indépendants, contribuent à la diversité de nos lectures, à la création graphique. Les diffuseurs sont des hommes d’affaires, ils sont dans le livre comme ils pourraient être dans le textile ; ils défendent ce qu’ils sont sûrs de placer, et les libraires jouent le jeu : ils mettent en rayons les produits qui assureront le loyer de leur local commercial... Les libraires dénoncent la vente de livres en ligne mais trop peu d'entre eux défendent les auteurs marginalisés par les grandes firmes. Tous les ouvrages sont facilement accessibles en ligne, tous les auteurs y sont représentés, sans considération de notoriété ou de chiffres de ventes ; dans ce cas, quelle doit-être notre position ? La réponse va de soit. Nous, les auteurs, éditeurs de passion, nous nous donnons les moyens de réaliser des livres qui nous coûtent plus qu’ils ne nous rapportent. La passion et le désintéressement au service d'une œuvre ont un coût, et sont rarement lucratifs. Quand on me demande si je vis de mon métier, je réponds sans fierté : « Je vis pour mon métier. » C’est facile de pleurer, d’ailleurs, je le ferais tous les jours si je ne voyais pas les coteaux depuis la fenêtre de mon atelier. Tout le monde pleure, joue du violon avec la fin du mois, mais la fin du mois nous concerne tous ! Allons nous nous livrer à des comptes d'apothicaires ? Ceux qui pleurent le plus fort et se font entendre, ceux qui ont un moyen d’action direct, genre grève (puisqu’il n’y en n’a pas trente six), sont les mêmes qui malgré la violence de notre système et les difficultés qu’elle nous inflige, survivent malgré tout. Il n’y a pas de solidarité dans le secteur du livre. Le milieu de la bande dessinée n’est pas une grande famille. Arrêtons de jouer les artistes enfantins dans les salons du livre devant les gentils lecteurs, en leur servant la chanson de l’auteur qui a la chance de pratiquer sa passion. Il n'y a que les profanes pour avaler ce refrain. La passion n’est pas du nucléaire, elle est biodégradable, elle s’étiole avec l’âge et si l’on n’y prend pas garde, elle meurt de la toxicité ambiante. Il faut la soigner, la protéger, lui offrir les conditions nécessaires à sa pérennité... Et ce n’est pas sur le système de l'édition ultra-libérale qu'il faut compter, bien qu’il prétende vendre du rêve. Le fric est son langage. Et nous, poètes, artistes, auteurs, ce langage nous ne le comprenons pas, ou trop tard ; on n’a pas l’enzyme, la protéine ou ce qu’on voudra, pour saisir et utiliser ce langage du fric. Une réalité qui, dans ce monde nous rend extrêmement vulnérables et nous conduit à l’extinction de masse, au même titre que les abeilles et les mammifères marins pour ne citer qu’eux. Notre métier, nous le pratiquons dans la douleur, il est l’équivalent d’une résistance : on se prend des mandales, on subit de plein fouet l’injustice avec nos 10% de droits d’auteur quand le diffuseur prospère, s’en prend 30 ou 40, et saigne financièrement (il n’y a pas d’autres mots) les éditeurs indépendants pour promouvoir de la façon la plus cynique leurs catalogues, en ne les défendant pas comme l'exigerait leur professionnalisme. Nous, auteurs, résistants, qui sommes la diversité et la singularité, arrêtons de nous acharner, de nous battre pour exister dans ce système où nous resterons perdants. Nous sommes face à un mur de fric avec des rêves et des idéaux ; ce qui nous attend si on ne change pas de cap c’est le crash. La transition énergétique, la question climatique, l’avenir de l’humanité est notre véritable problème. Bien sûr, on ne gagne pas de pognon, mais ça fait des années que ça dure et on n’est pas morts ; démerdons-nous pour survivre, encore et encore. Refusons les pillons, lâchons les gros diffuseurs, arrêtons de les engraisser, fédérons-nous sur le modèle des coopératives pour diffuser les livres (ou sur d'autres modèles si quelqu’un a une meilleure idée), les auteurs aussi peuvent s’y mettre : au lieu de se battre pour gagner 2 ou 3 % de plus en droits d’auteurs, utilisons cet acquis (s’il arrive un jour), pour aider les éditeurs indépendants à financer leur propre diffusion, soigner une éthique et contribuer à changer ce système mortifère... Nous devons rejoindre ceux qui se battent pour le climat car ce sont eux qui trouveront des alternatives à notre société capitaliste génocidaire que l’industrie du livre engraisse. Refusons de participer à ce carnage, changeons d’angle d’attaque. Cessons de convoiter un contrat chez les gros éditeurs car ainsi nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis. Les éditeurs indépendants sont nos plus proches alliés, la diversité de la lecture et de la narration graphique est entre leurs mains. Actuellement, le marché de l'édition de la bande dessinée favorise la précarité, la marginalité et des conditions de travail irrespirables ; si l'on ne fait rien, c’est la déprime abyssale au bout du chemin et l'ultime question : à quoi bon faire des livres dans un monde qui s’écroule ?


Photo du rédacteurCéline Wagner

Dernière mise à jour : 9 mars 2020

J’avais trouvé un chat-souris-lapin — dans le rêve sa forme était claire, mais à présent elle ne l’est plus — le genre d’animal doux et petit qu’on a plaisir à caresser et qui tient dans une cage... Comme il s’était laisser adopter, je devais lui trouver rapidement un panier pour l'emmener en voyage ; et aussi fort que je m'étais attachée à cette peluche vivante je me mis à redouter sa mort. Je repoussais constamment mon chien pour qu'il ne le mange pas... Nous étions dans une ville pleine de trains. Michel Foucault était assis sur une chaise en bois pliable au centre des chemins de fer, et parlait avec beaucoup d’intelligence. Il échangeait quelques mots avec ma sœur, embarrassée de ne pouvoir lui répondre avec la même éloquence, elle balbutia quelques mots, pour autant, j’en étais jalouse. Par amour propre, je refusais de chercher quoi que ce soit à dire de plus intelligent, sous prétexte de vouloir prendre la parole. J'étais silencieuse quand Michel Foucault s’aperçut qu’au centre de notre cercle trônait un chevalet vide. Je lui dis : « C’est très rare. D'habitude il y a au moins une toile blanche dessus. » Je m'inquiétais alors de le voir saisir un crayon et un bloc de papier : « Saurait-il aussi dessiner ? ». Il esquissa un profil de femme, attacha un soin particulier à la chevelure et sur cette caricature, d’une facture très douce, écrivit Céline. Le dessin était fixé sur le flanc d’un train, malheureusement, je ne pouvais pas l'emporter. Devant le philosophe, je n’osais pas prendre mon portrait en photo pour en avoir un souvenir (quel manque de hauteur que de vouloir emporter une image de soi devant Michel Foucault ; réalisée par lui de surcroît ! Honte absolue !), je devais me résoudre à l'abandonner et soudain, m’attristais que le philosophe soit mort si jeune ; de même que Mano Solo. Je me demandais si, au cas où cela m’arrivait, je pourrais être sauvée par la science. Avaient-ils souffert ? Maintenant, sur le banc d’une gare, à la place de Michel Foucault était assis son fils. Une homme d’une cinquantaine d’années, massif, sans façons et arborant une moustache. Il était vêtu d'un blouson kaki informe et parlait un français très écorché ; je dis à ma sœur : « Je n’imaginais pas son fils comme ça, on dirait qu’il n’est pas allé à l’école longtemps. » et d'un ton professionnel, ma sœur ma répondit : « Oui, c'est ce qu'on appelle un déclassé. » Ce monsieur nous expliquait qu’il ouvrait un lieu et réalisait une exposition à la mémoire de son père, non loin d'ici. Au même moment, alors que la nuit commençait à tomber, nous entendîmes des clameurs ; un groupe, au loin, se rapprochait dans notre dos. Je me tournai et découvris une longue rangée de platanes au bout de laquelle une bande d'hommes, armés de bâtons, approchait. Ils lançaient des slogans que l’on ne comprenait pas et frappaient sur les troncs — à l’intérieur desquels avaient été logés des éclairages urbains — pour casser les ampoules et plonger la ville dans le noir. Je leur criai « Hey ! Vous vous croyez où ? » ; aussitôt, ma sœur me supplia de me taire. Les hommes à présent étaient devant nous et faisaient demi-tour ; dans mon dos ce n’était plus une allée de platanes mais une butte impossible à gravir. Ils emmenèrent ma sœur et je les pris en course. J'étais à bout de souffle quand nous traversâmes une zone pavillonnaire ; je me jetai sur l’un des portails et pianotai à l’aveugle les touches d'un interphone. Une voix de femme me répondit. J'émettais un pénible sifflement et ne pouvant respirer, n'articulais pas un mot. Enfin, grâce à un effort surhumain je parvins à dire au ralenti : « C’est ma sœur, ils l’ont emmenée, appelez la police, je suis devant chez vous, je vais essayer de les rattraper et je reviens... » Mon cœur battait à se rompre et j'étais sur le point de m’écrouler, quand la femme me répondit : « Bon, d’accord. »





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